30% DES SALARIES EN SOUFFRENT, LE CLIENT DESPOTE

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Et si l’usager d’aujourd’hui avait pris la place du contremaître d’autrefois ? Un consommateur de plus en plus exigeant, qui dicte les cadences, vérifie le travail et sanctionne…

Et si l’usager d’aujourd’hui avait pris la place du contremaître d’autrefois ? Un consommateur de plus en plus exigeant, qui dicte les cadences, vérifie le travail et sanctionne… Dans la famille « Harceleur », on connaissait le patron, les chefs petits et grands, les collègues aussi. Il y a un nouveau venu. Ce peut être vous, moi ou n’importe qui. C’est le client roi qui vire despote. Tyran sans en avoir l’air. Sans même l’imaginer. Ecoutez Thomas, 27 ans, serveur au McDonald’s, proche de la Sorbonne. Pour lui, le consommateur d’aujourd’hui est le contremaître d’autrefois. C’est lui qui donne le tempo de la productivité. Accélère les cadences. Observe, vérifie, sanctionne aussi. « Plus l’heure avance, dit Thomas, plus les gens sont crevés et chiants. Ils trépignent, se plaignent, ça nous met une grosse pression. Parce qu’ils sont dans un McDo, s’ils n’obtiennent pas le Big Mac au bout d’une minute, ça les rend dingues. »Bien sûr, il y a toujours eu des usagers tatillons et râleurs dans les files d’attente de la Poste ou de la Sécu. Sauf qu’aujourd’hui le consommateur abusif est devenu un des rouages essentiels du marché tel qu’il va. D’autant plus revendicatif qu’il est parfaitement informé des services qu’il achète. Et qu’il est prêt à faire jouer la concurrence. Le stress ainsi subi par le guichetier ou toute personne au contact des usagers finit par être impossible à gérer. En 1998, une étude du ministère du Travail dénombrait 6 millions de salariés déclarant vivre des situations de tension avec la clientèle : 40% dans le secteur public et 25% dans le privé. Soit au total 10% de plus qu’en 1991 ! «Le plus souvent, le salarié n’a aucune marge de manœuvre pour remédier à la situation. C’est cela qui est invivable… », note Caroline David, de l’Association nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (Anact), à Lyon. Et c’est dans le secteur bancaire que le pressing psychologique, voire physique, est le plus vif. Médecin du travail, le docteur Hélène Stakowski voit défiler dans son cabinet de nombreux em­ployés : « Très vite, ils disent qu’ils ont de plus en plus de mal à conduire correctement leur mission, explique t’elle. Le client leur renvoie constamment une image dégradante d’eux-mêmes. Et comment expliquer en quelques mots la réduction des effectifs, la valse des procédures, l’impossibilité de tout régler sur-le-champ lorsque tombe le verdict de l’usager : « Vous, vous nous servez de plus en plus mal ? ». Ceux qui subissent de plein fouet cette tyrannie banalisée, ce sont bien sûr les nouveaux acteurs de la flexibilité. Les sous-traitants, les indépendants, les free‑lance pour qui le désir du client n’est pas seulement un ordre mais la condition de leur survie. Car ils dépendent plus que les autres des contrats. Et vivent sur le fil du rasoir. Fabien, 40 ans, est de ceux-là. Depuis une dizaine d’années, il est à la tête d’une micro-entreprise de maçonnerie et de travaux publics en région parisienne Il évoque l’attitude quasi féodale de ses clients, les donneurs d’ordre, les seigneurs du BTP, comme1 Bouygues ou la Screg : « Ils te laissent mariner avec les traites et les règlements. Avant de commencer le chantier, ils font fructifier l’argent qu’ils ont touché et te paient 90 jours après le 20 du mois suivant. Si je signe le contrat le 5 février, je suis payé 105 Jours plus tard. Et parfois ils vont chercher la malfaçon, souvent une broutille, pour ne pas payer. A l’américaine. »Du harcèlement moral ? «Exactement ça », rétorque Fabien, qui dénonce les intendants des châteaux du BTP, ces « inspecteurs Gadget » qu’il a en permanence sur le dos. « Avant, c’était des vieux qui avaient débuté leur carrière comme ouvriers. Maintenant on voit débarquer des commerciaux de 25-30 ans, en Weston avec trois téléphones portables, qui confondent un 15‑tonnes avec une brouette. Ce qui les obsède, c’est la marge. Ils ont aussi une arme qu’ils posent si nécessaire sur la tempe : la menace de refiler le chantier à quelqu’un d’autre. »Même stress pour Didier D., qui pilote une pe­tite agence spécialisée dans les journaux d’entreprise. « La pression est d’autant plus forte que vous êtes petit, explique t’il. Le client vous dit en sub­stance « Moi je paie, donc vous faites ce que je veux. »Même si, de toute évidence, il est techniquement impossible de tenir le délai exigé. C’est une tendance qui se généralise depuis cinq ou six ans, et qui est due, me semble t’il, à la trouille de perdre son boulot. »De plus en plus exposés aussi, les informaticiens chargés de la réparation ou de la maintenance des parcs d’ordinateurs. Une disponibilité totale est requise dès que le serveur tombe en berne. Plus rien d’autre ne compte. «Quand un client a un problème de ce genre, c’est son entreprise qui s’arrête. Du coup, il transfère toute sa tension sur toi », confie Benoît. Qu’importe si c’est un samedi, si les enfants attendent à la maison. Oubliés, les horaires légaux ! Pas de 35 heures ou 39 heures. La hiérarchie ne se soucie d’ailleurs pas des détails de l’organisation du travail, qui est à la discrétion du salarié. La liberté est grande. Encore faut-il satisfaire… à l’obligation de résultat. L’impératif absolu. Exit le petit chef. Un nouvel arbitre des bons et des mauvais points, des promotions et des mises à l’écart s’est imposé : Le client. « Ils nous harcèlent au téléphone, soupire Sophie, ingénieur commercial chez un éditeur de logiciels. Ils exigent une réponse immédiate, menacent si nécessaire en demandant le nom du directeur commercial. Usant. » Les médecins du tra­vail ont beau observer les conséquences sanitaires de cette cascade de  » violences morales  » ils n’ont qu’une très faible marge de manœuvre. « On a l’occasion de prendre la parole dans les comités d’entreprise, explique l’un d’entre eux, mais on ne peut pas dire : »Tel employé est malade à cause d’un méchant client », ça déclencherait un fou rire. ANNE CRIGNON et GUILLAUME MALAURIE.

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